Jean Covid, Jean qui pleure

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Otage d’une doctrine, héritier du péché originel du masque, le Premier ministre ne peut plus sortir de la logique des nuits interdites, de la culpabilisation des populations et de la punition des restaurants comme des salles de spectacle, en espérant qu’il s’agira d’une stratégie enfin efficace. À l’heure où le monde des infectiologues se montre parfaitement divisé.

Olivier Magnan, rédacteur en chef

C’est acté, le Premier ministre Jean Covid – comment ne pas prêter ce patronyme à un homme politique « surgi » de la pandémie, chargé par Emmanuel Macron de gérer le cataclysme – a décidé de poursuivre l’implacable logique du couvre-feu étendu à 32 départements de plus et son lot de ravage économique. La moitié de la France. Pour le salut public, bien sûr, comment en douter ? Mais quel salut ? Pour, hier, 26 676 nouveaux cas de contamination, 6 000 de plus que la veille, 284 malades sont admis en réanimation. Au total, 2 239 personnes. Pour 5 800 lits (pas tous réservés covid). Au plus fort de la 1re vague, les réanimations dépassaient les 7 000. La courbe en cloche à l’époque s’élançait presque à la verticale. La même courbe aujourd’hui, à en croire le schéma du Dr Zagury, observateur des chiffres français depuis la Chine et peu suspect de choix partisans, montre une élévation graduelle tempérée (voir graphique ci-dessous).

Alors de quoi parle-t-on ?

Olivier Véran, ministre de la Santé, a martelé des chiffres apparemment impressionnants selon le protocole de la conférence publique à plusieurs inaugurée par Édouard Philippe. On crut, un temps, qu’il allait confirmer l’augmentation du nombre de lits « armés ». Que nenni : le ministre de la Santé s’est contenté de recommander la redistribution des malades, il a demandé aux services trop chargés de confier à des établissements privés des patient·es non-covid pour conserver les contaminé·es sévères, et n’a pas même confirmé son effort de quelque 50 millions d’euros pour 4 000 lits de plus, décidé quelque temps plus tôt. Le professeur Étienne Gayat, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Lariboisière, scientifique de service, a brandi un argument inattendu pour justifier la doctrine surprenante de la limitation des lits de réanimation : les multiplier n’est pas une bonne idée, un tel « signal » banaliserait en quelque sorte la sévérité de la pathologie. Étonnante dialectique !

Comment le citoyen pris dans l’étau de la peur peut-il comprendre ce qui se passe vraiment ?

Clairement, l’épidémie s’accélère à l’approche de l’hiver. Mais quel est son degré de dangerosité mortelle à l’échelle d’un pays ? Toujours trop grand pour ceux et celles qui décèdent et leurs familles, certes. Mais que se passerait-il si la jauge de l’urgence et de l’affolement n’était pas liée au nombre insuffisant de lits (en France et ailleurs) ? Quid si le système hospitalier était calibré à 8 000 ou 10 000 lits, servis par le personnel voulu (chiffre atteint lors de la première vague et aussitôt redescendu) ? Quel serait le discours des médecins si, sans avoir à pousser les murs et en présence d’un personnel suffisant, ils·elles nous expliquaient que la mortalité est désormais limitée, et qu’en dépit d’une 2e vague hivernale leurs services et leurs moyens répondent présents ? Tout se passe comme si les politiques nourrissaient l’obsession de ne pas créer une surcapacité, oukase du système de santé. Et si ce gouvernement optait une fois pour toutes pour un principe de surcapacité contrôlée et un « investissement » confortable dans le système de santé dont la faiblesse génère des pertes économiques autrement plus colossales ?

Pendant ce temps, un peu partout dans le monde, des infectiologues, médecins, chercheurs en santé publique, tiennent un tout autre discours. Et ils n’ont pas la « tête » de complotistes.

En France, covidinfos.net, blog de la contestation, relaie un « Message d’alerte international adressé aux gouvernements et citoyens du monde entier. Parmi les signataires, des médecins de nombreux pays et plusieurs professeurs en médecine dont le microbiologiste et spécialiste en maladies infectieuses et tropicales Martin Haditsh. » Le message n’use pas de détours : « Stop à toutes les mesures folles et disproportionnées qui ont été prises depuis le début pour lutter contre le Sars-CoV-2 (confinement, blocage de l’économie et de l’éducation, distanciation sociale, port de masques pour tous, etc.) car elles sont totalement injustifiées, elles ne sont basées sur aucune preuve scientifique et elles violent les principes de base de la médecine basée sur les preuves. »

Aux États-Unis, d’autres médecins infectiologues et d’autres chercheurs en santé publique signent la convention Great Barrington. Je me sens obligé de citer ce long extrait, sans augurer de sa justesse. Je constate simplement que le monde des infectiologues est de plus en plus divisé face à une maladie qui disparaîtra ou pas, qui sera vaincue ou pas, mais qui est bel et bien en train de nous secouer dans le shaker des incertitudes :

« En tant qu’épidémiologistes des maladies infectieuses et scientifiques spécialisés en santé publique, nous sommes inquiets des impacts physiques et mentaux causés par les politiques actuelles contre la covid-19 et nous recommandons une approche alternative que nous appelons Protection focalisée (Focused Protection) […] Heureusement, notre compréhension du virus s’améliore. Nous savons que la vulnérabilité à la mort par la covid-19 est plus de mille fois plus haute parmi les personnes âgées et infirmes que chez les jeunes. En effet, pour les enfants, la covid-19 est moins dangereux que bien d’autres maux, y compris la grippe. L’immunité grandissant dans la population, le risque d’infection baisse pour tout le monde, y compris les plus vulnérables. Nous savons que toutes les populations vont finir par atteindre l’immunité collective, c’est-à-dire le point où le nombre de nouvelles infections est stable, et que ce processus peut s’accompagner (sans pour autant dépendre) de l’existence d’un vaccin. Par conséquent, notre objectif devrait être de minimiser la mortalité et le mal fait à la société jusqu’à ce qu’on atteigne l’immunité collective. Une approche à la fois compassionnelle et prenant en compte les risques et les bénéfices consiste à autoriser celles et ceux qui ont le moins de risques de mourir du virus de vivre leurs vies normalement afin qu’ils fabriquent de l’immunité au travers d’infections naturelles tout en protégeant celles et ceux qui ont le plus de risques de mourir. Nous appelons cela la Protection focalisée (Focused Protection). »

Jean Covid, par pitié, devenez un Premier ministre vérité. Confrontez, analysez et tranchez. Mais ne nous laissez pas à la merci de tout et son contraire, ne soyez pas l’otage d’une doctrine unique, admettez que la stratégie tester-isoler fut une impasse de plus, que les taux d’occupation des lits n’est sans doute pas la bonne jauge, imposez s’il le faut Tousanticovid débogué par M. Numérique Cédric O, si tant est que cette appli serve au salut public, mais ne soyez pas M. Un-peu-par-là-un-peu-par-ici-aujourdhui-peut-être-ou-alors-demain…

Olivier Magnan

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