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Le rapport annuel de la Cour des comptes a été publié ce jeudi 18 mars. La lutte contre la covid-19 et le rôle de l’État durant la crise sont au cœur du document.
Les magistrats financiers ont rendu leur rapport. Pour cette édition 2021, la Cour des comptes tire les premières leçons de la crise sanitaire. Entre gestion des écoles, des hôpitaux, des transports et efficacité des administrations et des opérateurs publics dans la gestion de l’épidémie, le manque d’anticipation de l’État est pointé du doigt.
La critique de la Cour des comptes est acérée : trop faible anticipation de la crise sanitaire et impréparation des services publics concernés, à commencer par la santé et l’Éducation nationale. Exceptionnellement, le rapport annuel de la Cour des comptes « version covid » est paru sans son traditionnel chapitre sur la situation des finances publiques, qui fera l’objet d’un rapport spécifique commandé par Matignon pour début avril. En l’état, le rapport dresse des constats douloureux pour plusieurs acteurs publics en difficulté depuis un an. « Le premier enseignement à tirer, c’est une faible anticipation de la crise au sein des acteurs publics », même « s’ils se sont fortement mobilisés et ont fait preuve d’une très grande capacité de réaction et même d’innovation » une fois dans l’œil du cyclone, a ainsi indiqué Pierre Moscovici, le président de la Cour des comptes. Pour évaluer cette gestion de la crise sanitaire, l’institution de la rue Cambon s’est concentrée sur cinq « thèmes » : l’aide au retour des Français·es retenu·es à l’étranger, la contribution du service public du numérique éducatif à la continuité scolaire, l’hébergement et le logement des personnes sans domicile fixe pendant le premier confinement, les services de réanimation et de soins critiques et les établissements de santé face à la première vague de covid-19.
Un secteur de la santé pas suffisamment armé
Le sujet majeur de la santé préoccupe particulièrement le rapport. La tension dans les hôpitaux et les services de réanimation est un critère décisif dans les décisions de restrictions sanitaires prises par eux. C’est précisément face à ce défi que la crise n’a été que « faiblement » anticipée, selon la Cour, qui regrette le manque de « plan adapté » pour gérer une telle déferlante dans les services de réanimation (le nombre de lits est passé de 5 080 le 1er janvier 2020 à 10 707 lits le 15 avril). En cause : la progression du nombre de lits en réanimation, limitée à 0,17 % par an depuis dix ans, soit dix fois moins vite que le nombre de personnes âgées. Début 2020, il n’y avait que 37 lits pour 100 000 habitant·es de plus de 65 ans, contre 44 en 2013. Le même constat de sous-équipement vaut pour l’ensemble des soins critiques (lits de surveillance continue et lits de soins intensifs). Pour la Cour, il faut accroître la capacité d’accueil et se concentrer sur les besoins à l’échelle régionale, pour corriger certaines inégalités encore trop importantes. La source du sous-équipement, pointée par les magistrats financiers, tient à des baisses de tarifs qui « conduisent à s’interroger » : le ministère de la Santé diminue de plus en plus la rémunération des activités de réanimation pendant que les charges augmentent. Résultat, l’ouverture d’un lit de réanimation coûte 115 000 euros de déficit par an. Pas de quoi pousser les hôpitaux à investir. Des baisses de tarifs qui ont de quoi interpeller, dans un contexte où les unités de soins critiques sont déjà occupées à 88 %.
Ces constats déroulés, la Cour recommande de définir un nouveau modèle de financement des soins critiques pour « garantir la neutralité de la tarification à l’activité.
Outre la santé, l’éducation est également rangée au rang des secteurs clés mal armés pour répondre efficacement à la crise. La Cour s’est penchée sur la manière dont l’Éducation nationale s’est adaptée dans l’urgence du premier confinement. Pour Pierre Moscovici, « l’absence de plan de continuité dans les établissements scolaires, ainsi qu’une appropriation antérieure du numérique encore trop limitée pour permettre le basculement rapide dans l’enseignement à distance généralisé […] n’a pas garanti la poursuite des apprentissages pour tous les élèves ». De fait, la Cour estime qu’environ 5 % des élèves, soit 600 000 enfants, étaient « en rupture numérique ».
Craintes autour du financement des aides
Parmi les bons points, l’aide au retour des Français·es coincé·es à l’étranger a été « globalement efficace et a montré la capacité d’adaptation de l’administration et du Quai d’Orsay. Une « forte capacité de mobilisation » des agent·es et des opérateurs publics soulignée par le rapport. Notamment celle de l’administration fiscale, pour délivrer les aides aux entreprises. Le fonds de solidarité, pilier des aides versées, « a permis de limiter les effets de la crise », apprécie la Cour. En revanche, son renforcement depuis l’automne pour compenser les pertes d’exploitation d’entreprises plus grandes engendrerait « un risque de fraude significativement augmentée » et son arrêt en sortie de crise « pourrait entraîner un ressaut important des défaillances d’entreprises ». Là encore, la Cour des comptes salue la capacité d’innovation de l’administration publique, mais relève le « coût financier élevé de la crise », pointe l’efficacité discutable de certaines dépenses à cause de l’impréparation des pouvoirs publics. Le coût de la crise, justement, inquiète particulièrement l’institution financière, qu’il s’agisse de l’assurance-maladie, dont le déficit a explosé, ou de la dette de l’Unedic, attendue à 65 milliards d’euros fin 2021.
SNCF, vers une crise durable ?
Malgré sa recapitalisation de quelque 4 milliards d’euros, l’entreprise ferroviaire reste dans une situation critique jusqu’à fin 2022 et est encore loin de voir le bout du tunnel. Et pour cause, l’année 2020 a été dévastatrice pour la SNCF, avec une perte nette de 3 milliards d’euros. La Cour s’inquiète particulièrement de la grande inconnue pour les années à venir : le comportement des voyageur·ses et les variations de la fréquentation des TGV dans la mesure où l’activité Grandes lignes affiche une marche très sensible à ces facteurs.
En 2020, cette branche Grandes lignes a encaissé un recul de 59 % de son chiffre d’affaires, soit un manque à gagner de 4,8 milliards d’euros, dont 1 milliard pour l’Eurostar et 400 millions pour le Thalys. Outre la baisse de fréquentation, le panier moyen a également reculé de 20 %. Pour ne rien arranger, l’institution financière souligne que la SNCF ne renouera pas avec son niveau de clientèle d’avant crise avant la fin 2021. « Si l’activité TGV devait entrer dans un cycle de déficits structurels, c’est tout le modèle de financement du réseau ferroviaire par les péages et dividendes de la grande vitesse, tel que défini par le contrat de performance conclu entre SNCF Réseau et l’État, qui serait remis en cause », note le rapport. En définitive, les mesures décidées par l’État et les cessions d’actifs en interne ne suffiront pas, et le niveau de dette de 38,1 milliards d’euros reste préoccupant, malgré une reprise de 25 milliards d’euros par l’État il y a un an. Pour la Cour, « cette crise révèle les fragilités structurelles du transport ferroviaire : réseau ferré national en mauvais état, productivité insuffisante, faible compétitivité du fret ferroviaire, endettement chronique ». En d’autres termes, gare au statu quo en attendant le retour de la clientèle, prévient l’institution, qui appelle à la définition d’une nouvelle stratégie de relance du transport ferroviaire par l’État actionnaire et la SNCF.
Si ce rapport de la Cour des comptes de 2021 était très attendu, ses conclusions sont encore loin d’être exhaustives. Déjà parce qu’il faudra attendre avril pour prendre connaissance de l’avis de l’institution sur la situation des finances publiques, ensuite parce que le rapport annuel 2022, déjà évoqué, sera, lui, entièrement consacré au bilan de la crise de la covid-19 et à ses conséquences. Un rapport qui pourrait peser dans la balance, en pleine campagne présidentielle.
Adam Belghiti Alaoui