Deux étonnants petits bouquins nous parlent chacun de l’avenir… du capitalisme. En France et dans le monde. Le modèle dominant dont optimistes comme pessimistes voient la « fin ». Pour l’un, Gilles Lecointre, entrepreneur, chercheur, enseignant, essayiste, « le capitalisme se meurt… » Pour l’autre, Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon, essayiste, le capitalisme spéculatif ne survit que par son « esprit malin ».
Tous deux disent la même chose : ce système détruit la planète, il faut l’arrêter dans sa course au chaos écologique. Ouf : les forces qui vont le changer sont à l’œuvre. Pourtant, leurs démonstrations et les mots pour les soutenir ne sonnent pas vraiment à l’unisson. om
Lecointre, un optimiste marxiste
Son ouvrage est préfacé par Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, et c’est dire beaucoup : Gilles Lecointre ne voit pas le malin à l’œuvre dans le capitalisme, il y décèle la fatalité des progrès technologiques, sources de mécanisation, donc de rendement, demandé aux classes ouvrière et moyenne, consommatrices des biens produits et en lutte, au sens marxiste. Mais il y montre la vertu de ces mêmes progrès technologiques – désormais pour lui la numérisation et l’intelligence artificielle –, rédempteurs des forces destructives, agents de mutation de la société capitaliste vue comme le modèle universel et ses variantes. En récusant l’erreur marxienne qui croyait le modèle communiste salvateur, il discerne la mutation de la société capitaliste agie par « une forme de renaissance de la société » dont ces spectaculaires progrès technologiques libèrent l’énergie pour donner tout son élan à un « capitalisme immatériel » en train de basculer vers le « sens » d’un système économique au service du social. De quoi inspirer à Geoffroy Roux de Bézieux une préface à son tour optimiste et pro domo qu’on lui connaît bien : « [Nos entreprises ont] la capacité de faire face [aux défis] et à s’affirmer comme des exemples de conduite du changement […] L’entreprise est porteuse de solutions. »
Gomez, un pessimiste contrarié
Tout autre se veut le ton de l’auteur du fameux Travail invisible de 2013 où il dénonçait la financiarisation du travail à travers, entre autres, les fonds de pension américains. D’abord parce que son style, plus littéraire que celui de son confrère, plus sophistiqué, forme un récit, celui du capitalisme spéculatif que Pierre-Yves Gomez fustige presque dans les mêmes termes que Gilles Lecointre, le marxisme en moins, en lui prêtant cette assertion trompeuse : « Les performances économiques et techniques effaceront les dettes du présent. » Or c’est justement ce discours du capitalisme en partie validé par Lecointre que Gomez récuse : il s’agit, soutient-il, d’un « récit », donc d’une « fiction ». Qui dit quoi ? « Si l’homme est un être nuisible qui a dévasté la planète, il pourra sans problème être régénéré et “augmenté” par les miracles de la technologie. » Assurément « malin », décrypte le prof de management, en jouant sur les deux sens du qualificatif : la ruse et le diable. Pour lui, le « salut » – sortir du labyrinthe de la fuite en avant – est déjà en marche : le récit économique « malin » trouve ses limites dans la « vie réelle », celle qui porte une « parole », celle des « gens honnêtes » qui font « autrement ce qu’on leur demande de faire. » Pour notre essayiste, ceux et celles qui réagissent dans la vie réelle et exercent leur « bon sens » au travail « pour faire autrement », « commencent à voir leurs comportements se synchroniser, les ajustements sociaux se mettent en place, les ressources se partagent, de nouveaux modes de valorisation s’instaurent. » Finalement, une dose d’optimisme dans un monde spéculatif destructeur. om
L’après capital, le capitalisme se meurt, vive la social-économie, Gilles Lecointre, L’Archipel.
L’esprit malin du capitalisme, Pierre-Yves Gomez, Desclée de Brouwer.