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Trois dates, un chiffre, des aveux.
28 novembre. Les commerces rouvrent. On fera la queue, sans doute, mais on se fera couper les cheveux, on s’achètera des chaussures, un haut à paillettes, on pillera l’électronique en rayons rouverts, les jouets vont s’empiler. Youpi. On calculera ses 19 kilomètres 99 mètres de liberté de circulation mais grand-mère est à 30, dommage. On ira à la messe remercier le bon Dieu de tant de chance, mais sur trois rangées de prie-Dieu seulement. Amen. Librairies, médiathèques accueillent notre soif de livres qui racontent la crise. Tant mieux, happy tax payer… Comme le Snoopy dépressif, les Français·es qui se doutaient bien que les néons se rallumeraient se désolent déjà de la 2e date, si éloignée, de l’ouverture des restaurants et du Noël le moins joyeux de leur génération. C’est raté pour les sports d’hiver. Pas de raclette aux sommets.
Désormais, même quand le grand patron soulève le couvercle, on ne se frappe pas la poitrine en exultant. On savait que le confinement serait allégé. Au lieu de pousser un gros soupir de soulagement, on trouve seulement qu’il était temps. La CPME se réjouit de voir que les 15 à 20 % du chiffre d’affaires seront sans doute réalisables avec un week-end de rabe. C’est mieux que prévu.
15 décembre. Sous condition – 5 000 contaminations par jour, pas plus de 2 000 ou 3 000 malades en réa –, on préparera Noël, on ira au cinéma, au théâtre, dans les musées, mais pas trop tard. À 21 heures, on rentre, et pas pour préparer des bamboulas familiales à tout casser : cousins proches seulement.
20 janvier. Les restaurants, à défaut des bars, remettent le couvert, à jauge négociée. Ni les salles de sport ni les discothèques ne sont dans la boucle de réouverture. En attendant, les patrons toucheront 20 % de leur chiffre d’affaires de 2019 et les coiffeurs, entre autres, réclament déjà le même coup de pouce. Si… le virus n’envoie pas plus de 5 000 Français·es s’isoler. Si… on n’entrevoit pas de troisième vague. Si… on n’a pas mis la clé sous la porte entre-temps. Pas de quoi pavoiser.
Pour le(s) vaccin(s), on sera prêts. On a acheté plein de fioles. Et pour ne pas se payer la vôtre, rien ne sera obligatoire. Donc, comme les Français·es sont réticent·es au vaccin, le fameux effet d’immunité collective restera lettre morte.
Pourquoi tant de morosité ?
Parce qu’il fait froid, parce que l’on sera encore sous éteignoir des mois entiers, parce que l’on n’est pas prêts à voyager, parce que l’on n’est pas sûr du tout d’atteindre les fameux 5 000 malchanceux·ses maximum. Parce que la « vie normale », une vie sans menace invisible dans l’air, n’est pas encore en vue.
Et parce que le Président, plutôt pas très souriant, nous a avoué en filigrane qu’il voulait un État plus efficace, un hôpital transformé, une numérisation enfin généralisée, qu’il a « identifié nos faiblesses, trop de bureaucratie, un sens des responsabilités, des productions à améliorer ». Et qu’il nous faut « corriger ces vulnérabilités que nous ne voulions pas voir ». Un magnifique programme de quinquennat à réaliser en moins de deux ans. Si… seulement j’étais plus positif, comme on veut l’être chez ÉcoRéseau Business, je me réjouirais, comme la plupart d’entre vous, d’être indemne et de travailler d’arrache-pied. C’est mince, mais c’est encore la plus grande des consolations…
Olivier Magnan