Par Didier Kling, président de la CNCEF Immobilier et du Groupe CNCEF.
Avec le tourisme, le BTP est le secteur qui a été le plus impacté par l’état d’urgence sanitaire. 85 % des chantiers se sont arrêtés et la reprise tant attendue rend l’exercice de l’activité plus complexe et plus onéreux.
Tout d’abord, par la mise en place des gestes barrières et des mesures sanitaires au sein des entreprises et sur les multiples lieux de construction. Mais aussi parce que certaines marchandises et matières premières sont encore bloquées aux frontières. Ces obstacles, ainsi que la nouvelle organisation logistique à déployer, entraînent un renchérissement du coût des chantiers de plus de 10 % pour les entrepreneurs. Cette adaptation pose la question de leur marge, estimée généralement à 2 % de leur chiffre d’affaires.
À ce jour, près de 65 % des entreprises interrogées ont repris une activité partielle. Les métiers du gros œuvre, comme du second affichent le même taux de reprise. Le BTP ne peut donc pas encore donner sa pleine mesure, car des zones de construction ont dû faire l’objet d’une décontamination. Ensuite, les acteurs du BTP ont dû se fournir en masques et gel hydroalcoolique. De plus, le nombre d’ouvriers a diminué et leur mode d’acheminement sur les chantiers a dû être revu, pour assurer leur sécurité. Enfin, une coordination spécifique entre les corps d’état a dû être appliquée.
Impacts pour l’immobilier patrimonial
Avec ces facteurs, comment vit le marché de l’immobilier patrimonial, classe d’actifs importante pour les experts financiers et leurs clients ? Il a enregistré une baisse d’activités tant dans la commercialisation que dans les réservations de l’ordre de 50 % sur le plan national. Parallèlement, les délais pour obtenir les financements se sont allongés. Les réservations, qui ont été signées avant le confinement, ont pu aboutir sans obstacle dans la grande majorité des cas, sauf si un problème de financement s’est manifesté.
Quel est le potentiel à l’heure du déconfinement ? Tout d’abord, l’immobilier (90 %) demeure le placement préféré des investisseurs, loin devant l’assurance vie (3 %) ou encore la Bourse (7 %). 43 % des investisseurs envisagent de relancer leur projet dans les jours à venir, 10 % en juin, 10 % pendant l’été et 23 % en septembre. Seuls 13 % des projets sont reportés à 2021. En revanche, si 2 % des investisseurs ont modifié leur projet, aucun ne l’a annulé. Pour éviter tout risque de paralysie durable, l’examen des permis de construire va reprendre son cours fin mai, nonobstant la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’à la fin juillet.
Une ordonnance a été présentée en ce sens en conseil des ministres pour confirmer que les délais d’urbanisme, d’aménagement et de construction reprendront le 24 mai. Les acteurs du BTP et les Français/es gagneront en visibilité, pour la continuité de leurs activités et projets.
Pierre locative
Enfin, il convient de tirer les enseignements de cette crise sanitaire. Elle a renforcé l’envie des Français/es d’investir dans la pierre locative, à proximité de leur lieu de résidence principale. D’abord, parce qu’ils ont une connaissance plus affermie du marché local, ensuite parce que leurs démarches en sont facilitées. Enfin, parce que le suivi du chantier et de la gestion de la location sont plus commodes. La période a donc développé une pédagogie financière plus grande où l’immobilier de placement apparaît davantage encore comme une valeur refuge. Ce phénomène s’explique par deux raisons très fortes : prévoir un patrimoine pour sa retraite et compenser les aléas possibles en matière de source de revenus.
Quid du prix ?
Une question demeure cependant. Le prix ! Certes, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de la covid-19 sur le marché de l’immobilier. Cependant, des indices laissent apparaître que l’offre pourrait se raréfier, avec la hausse des coûts. La demande pourrait se réduire en raison de la hausse des taux d’intérêt. Ces dernières semaines, en effet, il a été constaté dans certains établissements financiers, une hausse de 30 à 80 points de base des taux d’intérêt. Par conséquent, le marché de l’immobilier patrimonial pourrait se rétrécir. De leur côté, les investisseurs (6 sur 10) pensent que les tarifs seront revus à la baisse. Mais qu’en sera-t-il du pouvoir d’achat ? Ou encore des 10 % de hausse des coûts des chantiers, enregistrés par les professionnels du BTP ? Irons-nous vers une répartition équitable de ces nouvelles charges entre les acteurs de la chaîne sectorielle ? Les semaines à venir ne pourront que nous le préciser.
Amortir le choc
Seule la voie de l’équilibre semble être la solution la plus raisonnable, si l’on souhaite que le phénomène naturel de l’offre et de la demande puisse à nouveau retrouver son cours. Mais ce ne sera pas suffisant tant la crise a été violente. C’est pourquoi de nombreux acteurs appellent à un plan de relance spécifique au secteur de l’immobilier, qui est pourvoyeur d’emplois et dont les besoins restent considérables.
Des propositions ont déjà été faites en ce sens : la franchise des droits de mutation sur les 100 000 premiers euros, le prêt à taux zéro dont la quotité pourrait être rehaussée à 40 % sur l’ensemble du territoire pour permettre aux primo-accédants d’être éligibles aux zones B2 et C, tout en bénéficiant d’une enveloppe supérieure à taux 0. Enfin, l’accélération de la numérisation des permis de construire ou le transfert des décisions aux intercommunalités sont à l’étude. Il convient désormais aux pouvoirs publics de s’emparer de ces pistes, de manière à faire renaître la confiance des acquéreurs et des investisseurs. Et de redynamiser un secteur clé de notre économie nationale.