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Une chronique de Jacques Draussin, le rédacteur en chef de La Griffe santé.
Difficile de trancher. Dans quel univers l’aventure de l’attestation dérogatoire de déplacement nous aura-t-elle plongés depuis vendredi ? Celui de Courteline ou celui de Kafka ?
Un sauf-conduit autodélivré qui nous accordait un droit à sortir autant qu’on le souhaitait, à condition d’être dûment rempli à chaque occasion d’incursion à l’extérieur de nos pénates, à 10 kilomètres en balade seuls ou en famille mais à 1 km seulement avec le chien. Des commerces « de première nécessité » dont la définition semble aujourd’hui encore être jumelée avec le tirage du Loto : du Courteline pur sucre. Un remake à peine un peu forcé de Messieurs les ronds de cuir, les fonctionnaires de Matignon et de l’Intérieur prenant simplement la place de ceux du Ministère des Dons et Legs du roman.
Mais hélas, en plein état d’urgence sanitaire, l’affaire n’est pas sans faire ressurgir non plus quelques réminiscences kafkaïennes du Procès, lorsque K est placé en état d’arrestation, sans en connaître le motif, tout en étant libre d’aller chaque jour travailler et de rentrer chez lui ensuite…
Les plus optimistes d’entre nous auront sans doute tendance à donner l’avantage au dramaturge franco-français. D’abord par simple mesure d’hygiène mentale, de résilience par le rire. Ensuite parce qu’on oublie trop souvent que Georges Courteline, en marge de son œuvre littéraire, a été le génial inventeur d’un appareil foutraque baptisé « le conomètre », censé pouvoir informer chacun de son degré de stupidité. En l’occurrence, l’épisode de l’attestation de confinement sans confinement aura sans doute fait exploser le compteur.
Jacques Draussin